Actualités | 24.11.2021
Mercredi 17 novembre dernier, la Commission Européenne a présenté trois nouvelles initiatives réglementaires dans le cadre du Green Deal européen. Parmi ces initiatives, la Commission a ainsi publié un projet de réglementation pour lutter contre la déforestation importée. A l’instar de la Stratégie Nationale de lutte contre la déforestation importée française (SNDI), le projet de réglementation s’appliquera au bœuf, au cacao, au café, à l’huile de palme, au soja, au bois et aux produits dérivés. Le projet de réglementation sera ensuite débattu et voté dans les instances législatives de l’UE.
Nous vous proposons un décryptage de cette proposition.
Ce projet de réglementation a été suivi de très près par la Commission certification de l’ATIBT au travers du groupe « Déforestation importée ». Sur base d’une version de projet du document obtenue avant sa publication, l’ATIBT a transmis à la Commission une note de commentaires et de propositions pour faire évoluer le texte et ses dispositions, pour mieux prendre en compte les spécificités et l’expérience de la filière bois tropical en matière de gestion durable des forêts. Même si un certain nombre de nos remarques ont été prises en compte, il reste cependant des points délicats et des zones d’ombres à éclaircir.
Ainsi, vous trouverez ici première ébauche de FAQ pour vous permettre de prendre connaissance de ce projet de réglementation, et identifier les risques et opportunités qu’il représente pour la filière forêt-bois tropicale, certaines questions restant ouvertes. Cette FAQ est basée sur notre lecture et compréhension du texte, ainsi que les sessions de discussion auxquelles nous avons pu assister organisées par la Commission Européenne (réunion de la plateforme multi-parties prenantes et groupe d’experts).
Pour information, la commission Européenne a également produit une FAQ plus générale.
Est-ce que le bois est concerné ?
Les produits bois, qu’ils soient issus de forêts naturelles ou de plantation, importés sur le marché de l’UE, sont concernés par ce règlement.
Le règlement cible en effet l’ensemble des produits de base spécifiques qui sont associés à la déforestation et à la dégradation des forêts (comme le soja, la viande bovine, l'huile de palme, le bois, le cacao et le café) et certains produits dérivés, tels que le cuir, le chocolat et les meubles.
Que prévoit ce projet de règlement ?
L’article 3 du règlement interdit aux opérateurs (donc les importateurs européens de bois dans notre cas) de mettre sur le marché de l'UE des produits :
Pour cela, le projet de règlement précise à l’article 8 les règles de diligence raisonnée obligatoires pour les opérateurs : collecte d’information, analyse et réduction du risque. A la différence du RBUE, le nouveau règlement intègrera des critères portant sur la déforestation en plus des critères de légalité.
La Commission a également prévu un Système d'évaluation et de catégorisation des pays producteurs (benchmarking system) pour évaluer les pays et leur niveau de risque de déforestation et de dégradation des forêts et ainsi proportionner le niveau de diligence raisonnée en fonction du risque-pays.
Selon le projet de réglementation les importateurs devront géolocaliser les parcelles où ces produits ont été récoltés, en mettant en place un système de traçabilité.
Alain Karsenty, dans une récente analyse, note que « La surprise vient de l’inclusion de la dégradation en plus de la déforestation » qui n'est prise en compte que pour le bois.
Quelles sont les principales définitions ?
Plusieurs définitions sont proposées dans le règlement à l’article 2, nous relayons ici les principales :
Cette définition est l’un des enjeux de cette réglementation. Comme le fait remarquer Alain Karsenty, « beaucoup de pays ont adopté un seuil de 30% de couvert arboré pour définir les forêts. En mettant un seuil à 10% pour définir les produits zéro déforestation, on va se trouver dans la situation où des productions jugées légales dans le pays d’origine (la conversion a pu concerner un écosystème à 20% de couvert, par exemple) seront reconnues légales mais inacceptables par l’UE, et, en principe, ne pourront pas être importées. Cela va créer de fortes tensions commerciales. »
Ces deux dernières définitions représentent un vrai risque pour l’exploitation forestière durable dans le Bassin du Congo. En effet, la définition de dégradation fait référence à des pratiques d’exploitation durable qui doivent éviter la dégradation des forêts primaires. Même si ce dernier terme n’est pas défini et va laisser la porte ouverte à de nombreuses interprétations, on peut penser que l’importation de bois en provenance de forêts non ou peu secondarisées par des opérations sylvicoles, telle que c’est le cas dans de nombreuses régions du Bassin du Congo, devienne compromise.
dans le cadre de la législation applicable dans le pays de production ;
Qui est concerné ?
Quelles sont les modalités pratiques pour les opérateur ?
Le système de diligence raisonnée s'articulera en trois phases :
Il est prévu une démarche simplifiée pour les produits provenant de pays classés en bas risque selon le système de classification proposé par la CE (Benchmarking system, article 27).
Le recours aux coordonnées géographiques représente un autre enjeu de cette réglementation. En effet, il impose de mettre en place une traçabilité stricte des produits, permettant de remonter jusqu’à la parcelle d’exploitation. Cela peut s’avérer compliqué pour certains produits, voire impossible dans le cas de produits fortement transformés ou assemblés (contreplaqués, panneaux, meubles, papiers, etc).
Qu’est-ce que le Système d'évaluation et de catégorisation des pays producteurs (benchmarking system) proposé par la CE ?
Le projet de règlement établit dans son article 27 un système pour l'évaluation des pays ou région sub-nationale permettant à la Commission d’identifier les niveaux de risques de déforestation et de dégradation des forêts. L'identification des pays ou des régions sub-nationales à risque faible ou élevé se fonde sur des critères d'évaluation tels que le taux de déforestation et dégradation, les taux d’expansion de l’agriculture, le périmètre des NDC, les accords bilatéraux existants avec l’UE, le cadre réglementaire en place selon l’article 5 de l’accord de Paris.
Cette approche de classification des pays présente le risque de décourager les importateurs de s’approvisionner dans des pays comme le Cameroun, le Cambodge ou la RDC, vu l’effort à fournir en termes de garanties. En effet, cela ne permet pas de faire ressortir les nuances de risque au niveau local, et risque de décourager les bonnes pratiques individuelles (telle que la démarche de certification). L’ATIBT à recommandé à la CE de prévoir, indépendamment de la classification du risque pays, un système de classification au niveau des opérateurs (tel que pratiqué dans le cadre de la réglementation bancaire).
Est-ce que la lutte contre le bois illégal est maintenue ?
L’article 3 interdit l’importation de produits qui n’ont pas été produits conformément à la législation pertinente du pays de production.
En ce sens, la lutte contre le bois illégal est bien incluse dans ce règlement. Cependant, c’est bien le critère de non-déforestation qui est mis en valeur dans ce règlement. En effet, la première étape de la diligence raisonnée demande d’obtenir en premier lieu les coordonnées géographiques du lieu de production pour s’assurer de l’absence de déforestation. De même, les critères d’évaluation des pays pour le système de classification des pays (benchmarking) ne prévoient que des critères liés à la déforestation et à la dégradation des forêts.
Quel est le rôle de la certification ?
La certification tierce partie est clairement reconnue comme source d’information complémentaire pour les étapes d’analyse et de réduction du risque à partir du moment où la certification fournit les informations requises par le règlement (cf. article 10.2.j).
De plus, une ouverture à sa reconnaissance est prévue, lors de la première révision quinquennale du règlement (article 32.2.a).
Le critère de dégradation des forêts ayant été ajoutée pour le bois spécifiquement (selon la définition de « deforestation free » qui prévoit une disposition spéciale pour le bois doit être récolté sans induire de dégradation de la forêt), la certification forestière représente plus que jamais un outil indispensable pour s’assurer de la conformité à ce critère (qui sera bien compliqué à vérifier par un opérateur européen pour des produits non certifiés).
En revanche, l’enjeu pour les certifications va être de s’aligner avec les exigences de la disponibilité des coordonnées géographiques des parcelles de production tout au long de la chaine d’approvisionnement et de transformation, impliquant une traçabilité stricte des produits. Le système de « mass balance » semblant être proscrit, cela impliquera sans doute aussi de revoir les méthodes de crédit, ou du moins les critères de vérification des bois non certifiés entrant dans des produits mixtes.
Que va devenir le processus FLEGT (APV et RBUE), avec les licences FLEGT ?
Dans les modalités, le RBUE semble maintenu, au moins dans l’esprit, puisque le projet de règlement adopte les mêmes étapes que celles prévues par le RBUE, mais prévoit un critère supplémentaire de vérification concernant la déforestation/dégradation.
Le principe d’autorisation, telles que les autorisations FLEGT, n’a pas été retenu. En revanche, ces dernières sont reconnues, quand elles existent, comme étant preuve de légalité sans contrôle supplémentaire, répondant ainsi à une partie des exigences requises. Elles ne constituent donc pas une « voie verte » pour l’importation de produit en UE, puisqu’elles ne garantissent pas l’exemption de déforestation ou de dégradation.
Nous comprenons donc que les APV existants et opérationnels lors de l’entrée en vigueur du règlement seront maintenus.
Pour les autres, et les pays sans APV, il est prévu des « Accord forestiers ».
Nous avons recommandé à la CE de s’appuyer sur les APV pour définir et appliquer des législations forestières de plus en plus strictes contre la déforestation et engagées vers la gestion forestière durable. Pour cela, les APV devraient être renforcés et révisés pour devenir un outil d’encouragement pour les pays producteurs à se doter de lois forestières durables et pérennes.
Le maintien du RBUE reste à éclaircir.
Quel est le calendrier de ce projet de réglementation ?
L’ATIBT reste engagée pour suivre les questions qui restent ouvertes, les sujets à éclaircir et les dispositions impactant la filière forêt-bois tropicale, en tout premier lieu la définition de la dégradation des forêts, mais aussi le rôle de la certification, le maintien du RBUE, la question de la traçabilité stricte nécessaire pour fournir les coordonnées géographiques et du recours au système massbalance, les risques de classification pays, etc.).
Malgré tous ces points qui reste à éclaircir et à faire évoluer, il faut se féliciter de l’ouverture qui est donnée à l’opportunité d’une reconnaissance de la certification forestière, qui reste pour notre filière l’outil le plus adapté pour apporter des garanties en termes de légalité, de zero-déforestation et d’absence de dégradation des forêts naturelles.
Dossier suivi par Caroline Duhesme
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