Actualités | 09.12.2022
L’Université de Liège tire la sonnette d’alarme sur les restrictions d’exploitation de plusieurs espèces de bois en Afrique.
La 19e conférence de CITES – Convention on International Trade in Endangered Species of wild fauna and flora - vient de se terminer au Panama. Parmi les décisions prises, certaines concernant les restrictions liées à l’exportation d’essences qui ne sont pourtant pas menacées. La raison ? La difficulté de reconnaissance de leur bois. Jean-Louis Doucet, Professeur à Gembloux Agro-Bio Tech/Université de Liège, est parmi les chercheurs qui plaident pour une meilleure prise en compte de leurs résultats de recherche.
La 19ème conférence des parties de la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (dont la Belgique fait partie depuis 1984), s’est tenue au Panama du 14 au 25 novembre 2022. A l’issue de cette conférence, de nombreuses décisions importantes concernant la protection de la faune et de la flore ont été prises, comme celle de l’inscription en Annexe II de la convention de plusieurs espèces de bois d’œuvre exploitées en Afrique centrale, dont le padouk et le doussié (encore appelé Afzelia).
Parmi les délégations officielles et les ONG, seules quelques universités étaient présentes lors de la conférence, dont l’Université de Liège, qui était la seule institution de recherche francophone. « Notre présence à ce grand événement est l’aboutissement d’une année de recherche visant à simuler l’évolution des populations de 19 espèces ligneuses dans un contexte de pression anthropique croissante, explique Jean-Louis Doucet, président de la CARE Forest is Life (TERRA/ Gembloux Agro-Bio Tech). Ce projet, financé par le Programme de Promotion de l’Exploitation certifiée des forets (PPECF), a notamment été mis en œuvre par le Dr Grace Loubota, chercheur dans notre unité de recherche, qui a pu présenter ses résultats devant les représentants des différents états membres de la CITES ».
Les conclusions des travaux du Dr Loubota étaient pourtant sans ambiguïté : ni le padouk, ni le doussié ne sont menacés et leur exploitation forestière ne mettra nullement en péril leurs populations au cours du siècle à venir. « Leurs densités sont suffisamment élevées et ces deux taxons se régénèrent sans difficulté, explique le Dr Loubota. Nous ne comprenons dès lors pas pourquoi les pays de l’Union Européenne ont appuyé, voire proposé l’inscription de ces espèces en annexe II de la CITES. » La réponse est pourtant simple … le bois de ces deux espèces est en fait difficilement différenciable de celui d’espèces considérées comme menacées.
« Cette décision est décevante, reprend Jean-Louis Doucet, car si des mesures de gestion supplémentaires se justifient pour certaines espèces commerciales, les deux essences visées ne devraient pas être concernées. Les cibles ont été mal choisies ! Les représentants des états européens rétorqueront qu’il suffit que les pays du Sud élaborent un avis de commerce non préjudiciable (ACNP)… Pas si facile car cela demande de longues procédures, impossibles à remplir endéans les trois mois, période de transition au -delà de laquelle l’exportation de ces espèces sera interdite sans cet ACNP ».
Selon Jean-Louis Doucet, les premières victimes seront les entreprises engagées dans une gestion durable, dont les sociétés certifiées FSC ou PEFC qui exportent une partie de leur production vers l’Europe. Le Gabon, qui ne souhaitait pas l’inscription, sera parmi les premiers touchés. « Les entreprises forestières actives dans ce pays ont été confrontées à un doublement du prix de l’énergie en six mois, ce qui rend l’exploitation de la plupart des essences forestières non rentable. Actuellement, seule l’exploitation d’un nombre d’espèces que l’on peut compter sur les doigts de la main l’est encore, dont le padouk et le doussié. Ces deux espèces ont des propriétés exceptionnelles pour des usages nobles en extérieure. Restreindre leur commerce international, c’est mettre une corde au cou des bons élèves de la gestion forestière ! ».
Les difficultés rencontrées par les personnes habilitées à vérifier la légalité des importations dans l’Union Européenne (dont la bonne identification des espèces) doit-elle se répercuter sur les pays producteurs ? Les impacts seront inévitables, comme la réduction des volumes de bois tropicaux certifiés FSC ou PEFC sur les marchés européens ou encore une pression supplémentaire sur des pays qui se sont engagés dans une gestion durable de leur forêt. Au Gabon, à court terme, l’ensemble des forêts du pays devraient être certifiées pour leur gestion durable. Aucun pays européen n’égale un tel niveau d’exigence. « Pire, à force de mettre la pression sur les pays du Sud qui exportent une ressource renouvelable, ceux-ci seront inévitablement poussés à promouvoir d’autres ressources, dont l’huile de palme, au détriment de la forêt devenue non rentable. Une catastrophe qui pourrait être évitée si on reconnaissait enfin les vertus réelles des bois tropicaux dont l’image a été ternie par des décennies de désinformations, conclut le Pr Doucet. »