Actualités | 12.05.2023
Nous relayons une tribune de Plinio Sist, directeur de l’unité Forêts et Sociétés au Cirad. La version originale de l’article, publié le 9 mai dernier, est accessible sur le site de Reporterre.
Le 19 avril dernier, le Parlement européen a adopté le règlement sur la déforestation importée relatif aux chaînes d’approvisionnement « zéro déforestation ». Les grandes entreprises auront à s’y conformer dès décembre 2024, les petites dès juin 2025, et démontrer que les produits qu’ils auraient importés ou exportés à partir de l’Union européenne (UE) n’ont pas contribué directement ou indirectement à la déforestation.
Dans un premier temps, les produits concernés sont l’huile de palme, l’élevage bovin, le soja, le café, le cacao, le bois et le caoutchouc, ainsi que les produits dérivés (tels que la viande de bœuf, le mobilier ou le chocolat). Ces produits ont été choisis en priorité du fait qu’ils ont été identifiés comme étant les principaux moteurs de la déforestation dans les pays producteurs. Partant du constat que l’UE est responsable de 16 % de la déforestation mondiale, du fait de ces importations de matières premières, l’esprit de ce règlement est d’assurer aux consommateurs européens de ne plus être responsables malgré eux de la déforestation dans le monde.
Le but est également de lutter contre la déforestation des régions tropicales, qui ont perdu 420 millions d’hectares de forêts lors des trente dernières années. S’il est indéniable que cette mesure est nécessaire et qu’il faut saluer cette décision historique, son efficacité à lutter contre la déforestation et la dégradation des forêts tropicales est loin d’être acquise. Il reste en effet une grande inconnue : l’aide qui sera apportée par l’UE aux producteurs pour qu’ils puissent changer leurs pratiques et être en adéquation avec ce nouveau règlement zéro déforestation.
Quid de l’aide aux petits producteurs ?
En effet si dans le préambule du texte du règlement, la Commission européenne s’engage clairement à travailler en partenariat avec les pays producteurs afin de les aider à s’attaquer aux causes profondes de la déforestation, ni le montant de cette aide ni sa mise en place en coordination avec l’application du règlement dans les pays producteurs ne sont clairement précisés.
Le texte se concentre essentiellement sur les processus de mise en place du règlement d’un point de vue légal et juridique, et donne donc le sentiment qu’il s’agit essentiellement de mettre en place un système de contrôle de traçabilité de produits visés plutôt que d’aider les pays producteurs à mettre en place en amont des systèmes de production durables et pérennes en adéquation avec le règlement zéro déforestation.
Or, l’efficacité de ce règlement en termes de lutte contre la déforestation dépendra essentiellement de la capacité des pays producteurs, et notamment des petits producteurs, à changer leurs pratiques agricoles. Si les grands producteurs n’auront aucun mal à répondre aux exigences de ce règlement pour continuer à exporter vers l’Europe sans rien changer à leurs pratiques, il n’en est pas de même pour l’agriculture traditionnelle. En effet, la date butoir fixée par le règlement est le 31 décembre 2020, ce qui signifie que toute culture établie sur des parcelles déforestées avant cette date ne sera pas considérée comme issue de la déforestation et les produits cultivés sur ces parcelles pourront alors être exportés sans difficulté vers l’UE.
Rachat de propriétés
Si l’on prend le cas du soja du Brésil, principal fournisseur de l’UE, les surfaces cultivées couvrent actuellement 34 millions d’hectares pour une production annuelle de 137 millions de tonnes. Le potentiel de surfaces cultivables pour le soja sans déforestation par récupération d’anciens pâturages, par exemple, est de 44 millions d’hectares et donc, en accord avec le règlement zéro déforestation de l’UE, puisqu’il s’agit de zones déforestées avant 2020. Les grands producteurs de soja n’auront donc aucun mal à alimenter le marché européen, qui importe environ 35 millions de tonnes par an de soja brésilien, soit environ un quart de sa production annuelle et un tiers de ses exportations.
Ces chiffres montrent sans ambiguïté que le Brésil peut sans aucun problème répondre à la demande de l’UE sans déforester un seul hectare de forêt supplémentaire. Il leur suffit d’acheter, par exemple, des pâturages issus de la déforestation avant 2020 appartenant à de petits agriculteurs pour les convertir en culture de soja. Ce rachat de propriétés de petits agriculteurs qui est assez courant actuellement pourrait alors être exacerbé et obliger ces derniers à déforester d’autres terres pour implanter d’autres pâturages. Indirectement cette culture de soja aura provoqué de la déforestation sans pour autant être prise en compte par le règlement zéro déforestation.
L’huile de palme est un exemple similaire au soja, puisque le pic de déforestation lié à cette culture a eu lieu il y a plus de vingt ans en Malaisie et en Indonésie, et ces deux pays n’auront aucun mal à exporter ce produit sans engendrer de nouvelles déforestations. Puisqu’aujourd’hui la plupart des plantations de palmier à huile se font sur d’anciennes terres déforestées.
Ce règlement montre donc d’importantes limites quant à ses réelles capacités à lutter efficacement contre la déforestation. Il ne sera pas suffisant. Plus que jamais, il est urgent de promouvoir une coopération mutuelle avec les pays producteurs pour les aider à changer de façon profonde les modes de production et de diriger cette aide vers les petits agriculteurs, les plus fragiles face à cette nouvelle règlementation. Sans cette coopération, ce nouveau règlement zéro déforestation aura très peu d’effet sur les taux de déforestation et contribuera simplement à donner aux Européens une fausse bonne conscience concernant notre part de responsabilité dans la déforestation.
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