Actualités | 08.10.2021
L’ATIBT répond à un article publié dans The Conversation le 2 septembre 2021.
En Afrique Centrale 31 millions d'hectares de forêts sont dotées d’un plan d'aménagement. Les concessions aménagées couvrent 56% de la surface totale des forêts de production de cette région. La mise en œuvre des plans d’aménagement est un rempart à la déforestation, dont plus de 90 % est liée à la progression de l'agriculture.
La reconstitution des stocks de bois exploitable entre deux passages en exploitation est un défi complexe lié à l'histoire et à la dynamique de ces forêts. Elle est aussi très variable d’une région tropicale à une autre et selon les types de forêt et les essences. Un récent article publié dans The Conversation[1] conclut « que les règles d’exploitation de bois d’œuvre ne permettent pas une reconstitution durable sur le long terme du stock de bois prélevé dans ces écosystèmes ». L’auteur de cet article recommande de réduire l’intensité d’exploitation et d’augmenter les durées de rotation car, selon lui, la gestion faite actuellement des forêts denses humides de production ne serait pas durable à long terme. Si nous partageons le constat fait de la reconstitution incomplète du stock de bois des essences phare entre deux passages en exploitation, il nous semble important de bien formuler la problématique qui se pose au gestionnaire forestier et de proposer des solutions réalistes et adaptées pour l’Afrique centrale.
L’Association Technique Internationale des Bois Tropicaux (ATIBT) a été fondée en 1951, à la demande de la Food and Agriculture Organization (FAO) et de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Au service de la filière « bois tropicaux », de la forêt jusqu’au consommateur final, l’association joue un rôle moteur dans la mise en œuvre de projets internationaux dédiés à la gestion durable et responsable des forêts tropicales. Elle se positionne aussi comme l’un des meilleurs référents technique et scientifique de la ressource bois tropical. Aux côtés d’acteurs européens de la filière « bois tropicaux africains », l’ATIBT rassemble des Etats (république du Congo, république de Côte-d’Ivoire, république centrafricaine), des ONG (FSC, PEFC, WRI, WCS, WWF), des instituts de recherche et bureaux d’études, et des grandes entreprises lesquelles, pour adhérer à l’association, doivent être certifiées.
L’ATIBT rappelle l’expérience qu’a acquis la filière Forêt-Bois tropical depuis plusieurs dizaines d’années pour garantir la légalité et la durabilité de ses activités et des produits bois, tout en évitant la déforestation. L’ATIBT oeuvre depuis plus de 20 ans pour la gestion des forêts de production, la définition et la mise en œuvre des principes d’aménagement et de gestion. Elle est également impliquée dans des projets scientifiques comme DynAfFor[2], visant à améliorer la mise en œuvre de la gestion durable des forêts tropicales. Les leçons apprises permettent de formuler un certain nombre de recommandations, lesquelles seront publiées en cette fin d’année 2021. Ainsi l’ATIBT est en mesure de proposer des solutions appropriées pour relever ce défi de la pérennité d’une filière de valorisation des bois des forêts naturelles de production en Afrique Centrale.
L’aménagement forestier vise à maintenir les fonctions de l’écosystème forestier naturel. Notamment, les forêts tropicales humides jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat global grâce au carbone qu’elles stockent. Elles abritent une biodiversité exceptionnelle et régulent les régimes hydriques. Elles fournissent des produits aux populations locales pour lesquelles elles ont une valeur culturelle capitale. L’aménagement forestier a été pensé en Afrique Centrale dans le but de préserver ces fonctions. La certification, quant à elle, garantit la légalité des opérations d’exploitation forestière et notamment la bonne mise en œuvre des plans d’aménagement forestier. Une gestion forestière mise en œuvre selon le cadre légal en Afrique Centrale permet de conférer une valeur économique à la forêt, assure le maintien des biens et services écosystémiques, des droits et besoins des communautés locales et peuples autochtones, ainsi que la préservation des valeurs de conservation et de la couverture forestière. Elle contribue également à lutter contre la déforestation, évitant la conversion de la forêt à d’autres usages, tels que des terres agricoles ou des mines.
Toutefois, l’aménagement ne cherche pas à reconstituer entre deux passages en exploitation un peuplement forestier identique dans sa composition. Notamment le constat d’une baisse de disponibilité dans des essences principalement exploitées durant le premier passage en exploitation (Durrieu de Madron L. et Forni E, 2004[3]) reste préoccupant pour le gestionnaire forestier et pour le propriétaire qu’est l’Etat, car il met en avant un risque sur les recettes de l’Etat et sur la pérennité de la filière.
La solution proposée par l’article de The Conversation face à ce défi n’en est pas une : réduire les prélèvements en bois serait totalement contreproductif car, loin d’assurer une durabilité économique, cela mettrait toute la filière en péril à très court terme. Cela pourrait même remettre en cause la préservation des forêts naturelles, augmentant les risques de conversion pour des usages non forestiers.
Dans un marché soumis à la loi de l’offre et de la demande, « fixer un prix du bois d’œuvre issu de forêts naturelles plus élevé que celui issu de plantations » n’est pas envisageable non plus et a déjà montré ces limites : le marché ne rémunère pas suffisamment les bois des forêts naturelles d’Afrique Centrale et ne paye pas le surcoût de production des bois certifiés selon les différents standards existants. Pour garantir une rentabilité économique pour la gestion forestière plusieurs solutions autres que « Couper moins et laisser reposer » devront être considérées.
Une de ces solutions réside, en Afrique Centrale, dans l’augmentation de la récolte par hectare (donc « couper plus ») mais en diversifiant les essences. Les prélèvements formels en Afrique Centrale, sont seulement d’environ 0,15 m3/ha/an en moyenne, ils peuvent être augmentés dans le respect des principes de bonne gestion forestière. Cette augmentation permettra de baisser les coûts de production par m3 de bois (notamment les coûts de construction de routes et de gestion). Pour des forêts dominées par l’Okoumé ou l’Ayous, essences héliophiles qui ont besoin de grandes ouvertures pour que se régénérer, seule une très forte augmentation pourrait permettre une régénération. C’est le cas pour la majorité des essences actuellement exploitées[4]. Ensuite une durée de rotation plus longue que les durée actuelles (le plus souvent 25 ou 30 ans) serait nécessaire pour que les arbres deviennent exploitables. La solution durable pour ces forêts d’Afrique centrale serait donc alors : « couper beaucoup plus, sur des surfaces annuelles plus petites permettant une rotation plus longue ». Aussi, la mise en place d'une sylviculture des peuplements est indispensable pour assurer la régénération des essences commerciales. Les pratiques sylvicoles restent à définir sur base d’une poursuite des essais engagées durant les dernières décennies. Le déploiement de cette sylviculture à large échelle par le secteur privé est freiné par le régime foncier (contrats de concession), la concurrence déloyale du secteur informel.
Augmenter l’intensité de récolte dans des forêts hétérogènes demande de diversifier la récolte des essences. En deuxième rotation, la récolte de nouvelles essences devra venir compenser la baisse de volume des essences exploitées en première rotation. Parvenir à créer des marchés rentables pour ces autres essences est aujourd’hui un des principaux défis à relever par les gestionnaires et exploitants forestiers. Ce processus passe par l’innovation industrielle et le marketing, mais aussi par l’amélioration des infrastructures et de la gouvernance (rôle des Etats).
Quelques progrès ont été faits durant ces dernières années. Ainsi au Gabon, le développement industriel survenu depuis 2010 permet de valoriser des qualités d’Okoumé moindres. Aussi certains concessionnaires ont su développer le marché de nouvelles essences. Nous notons que le prix de certaines essences a considérablement été modifié en 30 ans. A l’époque par exemple, le Tali ne valait pas le même prix qu’aujourd’hui, la différence étant que l’industrie Vietnamiene a « découvert » cette essence. D’autres essences peuvent-elles connaître la même évolution ?
Pour consolider la rentabilité économique de la gestion forestière, une solution est par ailleurs de diversifier les sources de revenus, à travers notamment les rémunérations de la contribution à la lutte contre les changements climatiques ou le paiement pour d’autres services environnementaux (PSE). Cette solution permettra de valoriser non seulement le bois issu des concessions, mais de rémunérer aussi les autres services que le gestionnaire protège (conservation des sites riches en biodiversité et/ou en espèces endémiques, protection des cours d’eau, et de la faune). Des projets pilotes sont en cours de montage pour pouvoir identifier des indicateurs et s’accorder sur des méthodes de suivi indépendant et à un coût supportable permettant de mettre sur pied des PSE pour la bonne gestion des concessions forestières, qui peut être attestée par une certification.
L'investissement du secteur privé et de la communauté internationale dans le maintien des capacités de production sur le long terme, ainsi que le développement de nouveaux revenus sont indispensables pour préserver de vastes massifs forestiers. Parallèlement des investissements nationaux sont nécessaires pour améliorer les infrastructures et baisser les coûts portuaires, permettant d’obtenir non seulement une croissance des activités économiques des pays en Afrique Centrale, mais également de rendre la filière forêt-bois plus rentable.
Paris, le 8 octobre 2021
Note rédigée avec la contribution de la Commission Forêt-Industrie de l’ATIBT
[1] Sist Plinio, « Couper moins et laisser reposer : une nouvelle gestion des forêts tropicales s’impose », The Conversation, 2021.
[2] Ce projet associe des acteurs public et privés, des institutions de recherche d’Europe et d’Afrique Centrale. / This project associates public and private actors, research institutions from Europe and Central Africa.
[3] Durrieu de Madron Luc et Forni Eric, « Aménagement forestier dans l'Est du Cameroun. Structure du peuplement et périodicité d'exploitation », Bois et Forêts des Tropiques, n°254, 1997, pp 39-50.
[4] Cf. Karsenty Alain, « Is sustainable logging possible in Africa’s dense forest? », Bois et Forêts des Tropiques, n°336, 2018, pp 3-5.
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